A propos d'Etranges Fantaisies

 

JAZZ MAGAZINE N° 599, Janvier 2009 ( Vincent Cotro)

Un conseil : commencez par la plage 8 (Clair Obscur) pour entendre peut-être d'où part et où s'appuie la démarche de Jean-Michel Albertucci. En l'occurrence ici,  une réflexion puisant dans les matériaux d'une ballade de jazz pour en élargir le rayon - harmonique, rythmique, sonore, expressif - puis y revenir avec une vraie rigueur. Juste après, L'oiseau intérieur suggère un lien rarement conçu entre Olivier Messiaen et les contours rythmiques du bebop (imaginez la fauvette des jardins chantant Salt Peanuts!). Albertucci, en tant qu'improvisateur et compositeur ( il est également contrebassiste et  pédagogue) vient du jazz et en importe bien d'autres gestes et sonorités : l'accord de neuvième obsédant  des Quatre visions rythmolodiques, le ragtime lointain et désarticulé de Monochrome I... Mais pour paraphraser l'un des ses titres, ces "Etranges fantaisies" nous mènent le plus souvent Dans le jardin [ du jazz ] par effraction. Les titres (Rêves sporadiques) soulignent d'ailleurs, autant que la musique, la place que tiennent dans ces projets l'exploration aléatoire de l'intime  et le " cher hasard" illustré dans le livret par une citation de Gai Savoir de Nietzsche. D'où une abstraction pianistique plus proche de Schoenberg, Webern ou Ligeti que de Lennie Tritano  et Cecil Taylor (pourtant présents) et une discontinuité rythmique à découvrir sans  a priori.

 

EST REPUBLICAIN 10/02/2009 (Guillaume MAZEAUD)

 

Albertucci et la création pure : le pianiste Jean-Michel Albertucci est bien connu du public nancéien. Il vient de s'engager dans l'improvisation en solo, sans filet.

Parmi les mélomanes habitués des concerts de musique classique, l'ouverture est là, timide mais réelle. De plus en plus, les interprètes qui l'osent risquent parfois une improvisation dans un coin de leur programme.

Courageux, dans un milieu où la pratique de l'impro a quasiment disparu au cours des siècles, ne subsistant que de temps à autres derrière les pupitres d'organiste, dans les églises. Ce que tente Jean-Michel Albertucci est une expérience radicale, qui surprendra moins dans le milieu où il est connu en Lorraine, celui du jazz. Où se situe alors la radicalité, sachant que le jazz ne se distingue de la musique classique non par son caractère savant (il l'est tout autant que le classique), mais justement par la création spontanée qu'est l'improvisation ? "Justement", explique le pianiste, "L'impro pour un musicien de jazz tourne autour d'un thème, elle a un début, un milieu, une fin, elle s'"inscrit dans une grille d'accord. C'est de l'impro, mais strictement encadrée".

Un jour, le grand expérimentateur  de la musique contemporaine qu'est Dominique Répécaud, le patron de la scène nationale André Malraux, lui a demandé s'il pouvait tenter une prestation totalement improvisée, seul avec son piano pour le festival Musique Action. " Pour voir si ça pouvait marcher, il m'a laissé à disposition une journée le studio d'enregistrement du CCAM". Essai réussi et ensuite transformé en concert. " Une productrice, Bernadette Meyer a entendu la bande et m'a demandée si je pouvais faire un disque dans les mêmes conditions. En 2006, je suis descendu à Antibes et j'ai enregistré trois jours de suite l'équivalent de dix CD et une centaine d'heures. Des morceaux allant d'une demi-minute à une demi-heure." Ensuite i a fallu trier." ... Toute cette démarche a abouti à un CD, intitulé "Etranges Fantaisies" qui vient de sortir dans les bacs fin janvier, chez EMD. On y sent la fusion du classique et du jazz. " Je crée avec tout mon être, qui aime le jazz afro-américain, mais est issu d'une culture européenne qui a enfanté la musique classique celle qui m'a formé au conservatoire d'Aix-en-Provence".

Ecrite après coup

Lorsque nous avons rencontré Jean-Michel Albertucci, il était entrain ... d'écrire une de ses improvisations. " En réécoutant le morceau 9 du CD, que j'ai appelé Oiseau intérieur, je me suis rendu compte qu'il avait une vraie structure interne, que je n'avais évidemment pas pensée au moment où je jouais. Je suis donc entrain de la transcrire dans une partition."

Un travail très difficile. " Quand ce sera achevé, un collègue pianiste l'interprètera en concert... C'est un peu comme si je faisais tout à l'envers.  Au lieu de partir de la partition et de l'interpréter ensuite, je crée d'abord la musique avant de la transcrire".

L'artiste nancéien n'est pas le premier à se lancer dans l'improvisation pure. "Je marche sur les traces de Keith Jarrett, Cecil Taylor, Corea, Solal..." Des artistes de jazz dont la grande culture musicale leur permet de disposer d'un vocabulaire étendu. Car on peut vite tourner en rond. Jean-Michel Albertucci a donc trouvé une méthode  très empirique. "En réécoutant mes CD de départ, je trouve des thèmes, des idées, des phrases musicales qui me plaisent et que je transcris." Il les travaille souvent à la terrasse des cafés, en griffonnant notes et portées sur des feuilles et des feuilles...

Par cœur

"Je les apprends par cœur. Ainsi quand j'improvise, j'ai présent à l'esprit une dizaine de canevas qui sont autant de portes d'entrée à mon inspiration. J'appelle çà mon archipel. une idée qui était celle du compositeur contemporain André Boucourechliev... Je peux me servir d'une partie. Mais il est tout aussi possible que je me serve d'aucune. La difficulté sera aussi que je m'enferme dans ces thèmes et qu'ils finissent par devenir un obstacle."

Mais cette aventure dans laquelle il se lance, sans renoncer à jouer avec ses amis en combo de jazz, que ce soit au piano... ou à la contrebasse, son autre  instrument de prédilection, lui donne un certain bonheur. "Comme j'ai confiance dans ce que je vais jouer, j'improvise dans un  total "lâcher tout". Il aimerait arriver à ce qu'il a remarqué chez Keith Jarrett, " la perfection dans l'incertitude" Il s'écoute à chaque instant, invente à chaque seconde sans cliché. On sent cette fragilité, cette liberté aussi qui est la marque des grands interprètes."

Jean-Michel Albertucci progresse dans cette voie étroite qu'il a choisie et qui le comble en préparant une aventure plus compliquée encore. "Avec d'autres musiciens, un quartet saxophone, piano, batterie, guitare électrique. On improvisera tous ensemble. Ce sera comme un jeu de miroirs."

 

REPUBLICAIN LORRAIN 14/02/2009 (Julien BENETEAU)

 

Jean-Michel Albertucci improvisateur de sa vie : Le pianiste a vu son disque rangé dans les rayons jazz faute de mieux. Cet ingénieur rêve d'inclassable : le matin il joue du Bach et se demande comment mettre du volume dans ses improvisations.

Ça se travaille l'improvisation ? Evidemment. Ben des matins Jean-Michel Albertucci se rend au piano. Il joue Du Bach, pour plus tard, quand il sera prêt à le faire entendre. Des thèmes, des idées, des accords lui traversent l'esprit. Il les note "Haut comme çà" explique-t-il, en désignant une pile de feuilles imaginaires. De quoi faire un volume sans doute puisque le pianiste rêve de quitter la surface de la partition pour créer un espace de l'improvisation, une promenade sonore en 3D. " J'aimerais avoir plusieurs couches dans, lesquelles me promener", explique cet originaire de Vitrolles.

"A tout instant je peux choisir ma direction", se réjouit l'ingénieur de l'ENSEM (Ecole supérieure d'électricité et de mécanique). Il n'a pas toujours dit ça : doué pour les maths, son père l'a poussé à passer un  diplôme d'ingénieur. Il ne lui a jamais servi à rien, le spectacle n'a besoin que d'ingénieurs du son. Lui, le son, est un paramètre de construction de sa vie. N'a-t-il pas appris à jouer de la contrebasse il y a quelques années par intérêt ?

Inclassable

Le musicien réfléchit :"J'ai un parcours improvisé avec des forces qui m'orientent au bon moment, chantonne-t-il. Mais c'est très lent." Son disque en solo le montre.  Jean-Michel Albertucci avait improvisé avec des amis pour un concert à Vandœuvre-lès-Nancy, en 2002. Dominique Répécaud, le directeur de la scène nationale toute proche, apprécie et lui propose un concert solo. Cela prend un an avant que le pianiste n'aille répéter dans un studio pour voir. "En réécoutant j'ai été surpris, raconte-t-il avec une assurance tranquille qui pourrait fondre en orgueil.  Je me suis dit : c'est moi qui ai fait çà ? Comment j'ai fait ?  Il se veut inclassable par peur des clichés associés au pianiste de jazz, mais c'est EMD, maison réputée dans la matière, qui lui demande d'enregistrer un solo improvisé. A Antibes, il enregistre pendant trois jours 10  CD de rushes. Il a fallu trier.

"J'ai laissé des possibles." Le musicien évalue en mathématicien le nombre de combinaisons possibles : une vie de suffirait pas à les écouter. De la contrainte nait la liberté ? Plutôt que Sartre, Jean-Michel Albertucci cite  Nietzsche et son Gai savoir. Le philosophe allemand avait consacré un chapitre à l'improvisateur, celui qui profite de tous les faux pas pour entreprendre une nouvelle danse. "Le pianiste Thelonious Monk parlait des fausses erreurs". ajoute l'improvisateur, en toute connaissance de cause : Monk ça reste du jazz.

 

 

12 décembre 2008

L’étonnant monsieur Albertucci, Blog Maître Chronique, Citizen Jazz (Denis Desassis)

 

Il faut être un peu gonflé pour enregistrer un disque de piano solo, qui n’est selon son compositeur, ni du jazz, ni de la musique classique ou contemporaine. Un disque comme surgi de nulle part, en réalité l’expression d’une personnalité attachante ayant accepté de laisser le heureux hasard guider ses idées et ses doigts sur le clavier, non sans avoir accompli au préalable un long cheminement, celui de la maturation et de la perception de toute l’exigence que requiert une discipline appelée improvisation, avant d’oser le fixer par un enregistrement. Une synthèse d’influences multiples à travers laquelle se dessine une création harmolodieuse, un néologisme colemanien (1) que le pianiste acceptera d’autant plus volontiers qu’il n’hésite pas lui-même, quand il le faut, à inventer des mots pour mieux traduire le sens de son travail. Avec ses Étranges Fantaisies, Jean-Michel Albertucci gagne le pari, risqué, d’une musique dont il concède qu’elle peut parfois paraître austère sous certains de ses aspects géométriques mais qui n’oublie jamais de célébrer l’essence même de la musique : le chant. Ici, rythme et mélodie se croisent sans cesse, dans une course un peu folle qui nous transporte dans un univers surprenant mais jamais déroutant. Avis aux amateurs, il y a là matière à une belle découverte dont je m’étais déjà rapidement fait l’écho dans une récente note de mon blog alternatif et quotidien.


Il me paraissait donc intéressant de prendre le temps de bavarder avec ce musicien, passionné et passionnant, et de lui accorder tout le temps nécessaire à l’explication de la genèse d’un projet qui germait en lui depuis de longues années. Rencontre avec un monsieur décidément étonnant…

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